Comprendre un vin par sa musique
Boire la musique, écouter le vin.
Un vin peut se goûter à l’oreille autant qu’au palais. Certaines musiques modifient la perception d’un millésime. Et parfois, une playlist en dit plus qu’une fiche technique.
Boire la musique, écouter le vin.
Un vin peut se goûter à l’oreille autant qu’au palais. Certaines musiques modifient la perception d’un millésime. Et parfois, une playlist en dit plus qu’une fiche technique.
Le vin est souvent décrit avec des mots empruntés à la musique. On parle d’attaque, de longueur, d’accords. Un rouge vif peut rappeler un solo tendu. Un blanc ample, une nappe de cordes. Certains crus jouent à contretemps, d’autres filent droit comme une ligne de basse. Il y a des silences en bouche, des montées, des reprises.
Et si ce champ lexical n’était pas une simple image ?Des chercheurs s’y intéressent. Les vignerons aussi. Dans cet article nous explorerons comment certaines musiques modifient notre perception d’un vin. Et comment, cette année, les vignerons des Domaines Barons de Rothschild Lafite ont eux-mêmes choisi de faire parler leurs vins en musique.
Longtemps, la dégustation a été considérée comme une affaire strictement œnologique. Puis sont venues les neurosciences. Des chercheurs se sont demandé : notre environnement sonore influence-t-il ce qu’on goûte ? La réponse est oui.
En 2007, le psychologue Adrian North (Université d’Édimbourg) mène une expérience sur une centaine d’étudiants. Tous boivent le même vin, mais dans des ambiances musicales différentes : Carmina Burana de Carl Orff pour l’intensité, Tchaïkovski pour la finesse, Nouvelle Vague pour la fraîcheur, Michael Brook pour la douceur. Les résultats sont sans appel : en compagnie d’Orff, le vin est perçu comme “puissant et lourd”, sous Tchaïkovski, “subtil et raffiné”. Le vin reste le même, mais notre façon de le goûter bascule selon ce qu’on entend.
À Oxford, le professeur Charles Spence approfondit ces phénomènes qu’il nomme correspondances croisées : des associations spontanées entre les sens, souvent inconscientes.
Une fréquence aiguë peut renforcer l’acidité d’un vin ; une basse fréquence, au contraire, en adoucit les tanins. Une musique fluide prolonge la sensation en bouche, quand une rythmique saccadée la fragmente.
Si l’écoute transforme la dégustation, le contraire peut aussi être vrai. Chez les artistes, certains vins réveillent des images sonores, donnent un rythme, ou même une sensation. Non pas par effet d’ivresse, mais par affinité sensorielle. Une gorgée peut faire remonter un accord. Une acidité peut réveiller un souvenir. Des compositeurs comme Poulenc, Ravel ou Bernstein ont souvent évoqué cette zone floue entre contrôle et lâcher-prise, où la musique semble “venir d’ailleurs”. Un état que les neurosciences, là encore, rapprochent d’un relâchement de l’activité du cortex préfrontal, celui-là même que le vin peut atténuer temporairement. Moins d’analyse, plus d’intuition.
À Pauillac, à Lafite, Olivier Bonneau, directeur d’Exploitation, a pensé à Teardrop de Massive Attack : une tension douce, un beat répétitif, un morceau qui résume l’émotion de 2024 sans hausser le ton.
À Duhart-Milon, c’est Superstition de Stevie Wonder qui s’impose. Pas seulement pour l’énergie ou la finesse du groove, mais pour l’improvisation derrière sa création : « c’est un peu l’histoire de ces vendanges où il a fallu s’adapter à des conditions qu’on n’avait pas vues depuis longtemps. » raconte-il.
À L’Évangile, Olivier Tregoat, directeur technique des propriétés hors Pauillac, hésite entre We don’t know what tomorrow brings de The Smile et Dreams Never End de New Order. Deux titres pour un millésime d’incertitude. Et, en toile de fond, des références comme Radiohead ou Mercury Rev, capables de combiner précision, fraîcheur et raffinement — tout ce qu’il cherche à traduire dans la “chauffe” de ses vins.
À Rieussec, c’est plus direct : It’s a Kind of Magic (Queen). Pour Mathieu Crosnier, directeur d’exploitation, le titre dit tout. Une promesse, un idéal, une magie qui s’est imposée malgré les aléas.
Et puis, il y a Aussières. Là, le vin prend l’accent du Sud. Jean-Charles Forges, Chef de Culture, choisit Henri Salvador. “Parce qu’Henri Salvador, c’est mon Dieu, il suffit de l’écouter, la classe.” Ce sera Jardin d’hiver. Plus enjouée que Chambre avec vue, d’abord envisagée pour son lien poétique avec le panorama sur le massif de Fontfroide. Et parce qu’à cette saison, les romarins et les ajoncs fleurissent déjà. La musique aussi.
Dans l’hémisphère Sud, Max Correa, Oenologue de Viña Los Vascos associe instinctivement le millésime 2024 du Dix, à la bande son de 007 “À l’image de James Bond, un espion qui doit afficher deux visages : l’un froid, troublant, l’autre plus chaleureux, plus séducteur.”
Pour Philippe Rolet, Directeur de Bodegas CARO, c’est Jenny Wren qui résonne le mieux avec son vin. Interprétée par le pianiste Baptiste Trotignon et le percussionniste Minino Garay « C’est à la fois riche, élégant et épuré”.
Une famille de domaines, autant de playlist à écouter … Château L’Évangile, Rieussec, Domaine d’Aussières, Château Lafite Rothschild, Bodegas CARO, Vina Los Vascos, Château Duhart-Milon.
Des morceaux partagés, comme on ouvrirait une bouteille entre amis. Parce que certains vins, comme certaines chansons, racontent l’année mieux qu’un discours. Nos vignerons ont branché les enceintes. Pour chaque propriété, ils ont associé une playlist à leur vin. Un choix du cœur, de l’oreille et du palais. À découvrir de toute urgence sur Spotify.
Alors lancez les morceaux. Faites tourner les verres. Et laissez nos millésimes se raconter autrement.
Parce qu’un grand vin, ça ne se lit pas toujours en étiquette. Ça s’écoute aussi en stéréo.