Le Journal / Notes

Late bloomers

Assemblage - La revanche des mal-nés.

Dans la rubrique « Assemblage » de chaque numéro, nous composons un assemblage de courts extraits autour d'un thème. Cette fois, nous explorons des millésimes oubliés ou méconnus qui, au fil du temps, ont révélé leur véritable éclat. Comme certaines chansons ou œuvres d'art qui ne trouvent leur public que des années, ces vins ont patiemment attendu le moment propice pour être pleinement appréciés.

Scrollez

Lorsqu’une chanson sort, son destin se joue vite. Hit immédiat ou silence radio, certains morceaux prennent des années avant de trouver leur public.

Dans le vin, certains millésimes suivent le même schéma. Descendus par la critique, oubliés par les acheteurs, ils patientent en cave pendant que d’autres brillent sous les projecteurs. Puis, sans prévenir, des années plus tard, ils révèlent un équilibre, une finesse, une longueur que personne n’avait anticipés. Des late bloomers, des vins à contretemps, des chefs-d’œuvre retardataires.

Dans cet article, nous faisons la lumière sur certains de nos millésimes injustement oubliés ou mal compris, qui mériteraient aujourd’hui qu’on les sorte de la cave. 

Château L’Évangile : Les modes passent, le vin reste

À L’Évangile, ces outsiders sont souvent les véritables révélations. 2008 et 2011 en sont l’exemple parfait. Deux millésimes jugés sans éclat à leur sortie, descendus par une critique obnubilée par la densité et la maturité solaire, alors que le domaine, lui, excelle justement dans les années plus fraîches.

2011, marqué par un printemps sec et des pluies de septembre, semble un candidat parfait pour l’oubli. Trop imprévisible, trop irrégulier… et pourtant, aujourd’hui, sa complexité, sa fraîcheur et son équilibre éclatent en dégustation. Un vin qui a appris à s’exprimer avec le temps.

2008, discret à sa sortie, a toujours eu les faveurs de Pomerol. Un millésime jugé “moyen-loin” à Bordeaux, mais qui révèle aujourd’hui un éclat insoupçonné.

Le 2017 suit cette logique : mal perçu à Bordeaux, alors qu’il s’impose avec son fruit juteux et sa tension maîtrisée pour Château L’Evangile. Les grands vins ne se laissent pas influencer par les modes.

Millésimes 2008 et 2011 du Château L’Evangile, deux « Late Bloomers » patiemment révélés par le temps.

Domaine William Fèvre : Ce qui ne tue pas un vin le rend plus grand

À Chablis, le temps est encore plus intraitable. Ici, un millésime jugé faible doit attendre patiemment que la vérité minérale du terroir se révèle. 2001 pour les vins de William Fèvre est un chef-d’œuvre tardif. À sa naissance, tout joue contre lui : une floraison sous tension, un état sanitaire précaire, une pluie traîtresse en septembre. On le croit trop juste, trop faible pour tenir la distance. C’est ignorer la magie du sol kimméridgien.

Bouteille de Chablis Premier Cru Vaillons, signée William Fèvre.

Les premières années, le vin est en retenue, presque mutique. Mais à mesure que les arômes primaires s’effacent, la pureté du terroir s’impose. Vingt ans plus tard, il irradie d’une précision incroyable, avec une fraîcheur qui défie les attentes. À l’inverse, 2003, brûlé par la canicule, semble condamné à un vieillissement trop rapide. Personne ne mise sur lui… jusqu’à ce que l’on réalise, vingt ans après, que sa structure s’était figée dans une fraîcheur insoupçonnée. À Chablis, le vin ne se révèle pas, il se découvre.

Rieussec : Les derniers seront les premiers

Il y a des millésimes qui naissent sous de mauvais auspices, marqués du sceau de l’indifférence avant même d’avoir eu leur chance. Le 2013 de Château Rieussec est de ceux-là. Après un 2012 si désastreux que le domaine n’avait même pas tenté de produire son grand vin, 2013 débarque dans le désintérêt général. Année humide, botrytis irrégulier, climat chaotique : autant dire qu’aucun miracle n’est attendu. Personne ne se bat pour l’acheter, et rares sont ceux qui le goûtent vraiment.

Mémoire du botrytis : millésimes anciens de Château Rieussec.

Mais c’est le propre des grands liquoreux de se moquer du temps court. Dix ans plus tard, lors d’une verticale, le verdict tombe : 2013 est un des plus beaux Sauternes récents. Là où l’on craignait un vin mou et fatigué, il s’est révélé tendu, vibrant, d’une élégance inattendue. Son botrytis, qu’on croyait brouillon, s’est affiné. Sa structure, qu’on pensait lâche, s’est tendue comme un fil. Loin des millésimes démonstratifs, il déploie sa finesse avec une évidence désarmante.

Les grands Sauternes ne vieillissent pas, ils se métamorphosent. Château Rieussec en est la preuve : un 1929 dégusté récemment brillait encore d’une lumière intacte. 2013 suit cette trajectoire, déjouant les préjugés et réclamant sa place parmi les réussites du domaine. Un vin que personne n’a vu venir, mais qui, avec le recul, semble avoir toujours été là, patient, prêt à surprendre.

À Rieussec, les vins patientent dans l’ombre avant de surprendre à la lumière.

Château Lafite Rothschild : La patience est un vin qui se boit vieux

À Lafite, un grand vin peut être éclipsé par des raisons qui dépassent la vigne. C’est le cas du millésime 2002 : sacrifié sur l’autel de la géopolitique, il arrive  en pleine guerre d’Irak, au moment où la France s’oppose à l’intervention américaine. Résultat, boudé par les acheteurs outre-Atlantique et snobé par une critique absente, il est sous-coté et vendu à bas prix.

À l’inverse, 1997 est cet enfant prodige trop tôt mis sur un piédestal, à une époque où les acheteurs se battent pour du Château Lafite Rothschild. Les attentes sont immenses, et les amateurs, en quête de puissance et d’extravagance, le trouvent trop sage. Mais aujourd’hui, ceux qui ont eu la patience de l’attendre découvrent un vin d’une finesse remarquable, porté par une structure parfaitement en place et une fraîcheur qui tranche avec les années solaires. Un millésime qui trouve enfin la reconnaissance qu’il mérite.

Il est aussi nécessaire de mentionner le très étonnant 1994, ce millésime qui n’a jamais cherché à faire l’unanimité. Dans une année sans éclat, il aurait pu suivre le destin qu’on lui avait tracé lui et ses compères nés au mauvais moment : l’oubli poli. Pourtant, ce 100 % Cabernet-Sauvignon a tenu bon, se révélant d’une singularité inattendue. Un vin curieux à boire, assez unique pour cette drôle d’année viticole.

Château Lafite Rothschild 2002. L’un de ces vins que le temps révèle mieux que les jugements hâtifs.

“There’s something inside you, it’s hard to explain” – Nightcall parlait peut-être des vieux millésimes.

Les artistes qui n’ont jamais connu la reconnaissance de leur vivant sont légion. Van Gogh vendait à peine une toile. Kafka n’était qu’un obscur employé d’assurance. Aujourd’hui, impossible d’imaginer la littérature et la peinture sans eux . Dans le registre musical, en 1975, Bohemian Rhapsody de Queen était jugée trop longue et trop atypique pour passer en radio, pas assez formatée. Il a fallu attendre qu’un jeune animateur la diffuse en intégralité tous les jours sur la même fréquence pour que le titre devienne un phénomène. Cinquante ans plus tard, elle résonne encore aux quatre coins du monde… et même, dit-on, pendant les vendanges sur certaines propriétés des Domaines Barons de Rothschild Lafite.

Difficile aussi de parler de late bloomers sans évoquer Nightcall de Kavinsky. Boudé par les radios à sa sortie en 2010, éclipsé par des titres comme American Boy d’Estelle ou Beggin’ de Madcon, il a fallu attendre le film Drive en 2011 pour en faire un classique, puis la cérémonie d’ouverture des JO 2024 pour le propulser au rang de tube planétaire.

Garder une bouteille, c’est lui donner une seconde chance

Dans le vin, ces destins existent aussi. Château L’Evangile 2011, Château Lafite Rothschild 2002, les 2001  du Domaine William Fèvre, Château Rieussec 2013… autant de millésimes qui, à leur naissance, semblaient promis à l’oubli et qui, avec le temps, ont trouvé leur place.
Il ne s’agit pas de dire que toutes les mauvaises notes sont infondées. Lorsqu’un vin est vraiment mauvais, aucun miracle ne viendra le sauver. Mais certains millésimes n’étaient pas prêts à montrer leur jeu dès le départ. L’intuition des vignerons, la patience des amateurs et la mémoire des caves leur ont offert une deuxième chance. 

Le vin n’est pas une science exacte. C’est aussi un jeu qui peut échapper à toute logique. Il a ce pouvoir de surprendre, d’échapper aux classements hâtifs, de réécrire son histoire au fil des ans. Un chef-d’œuvre immédiat est grisant. Mais un chef-d’œuvre tardif, c’est une victoire sur le temps.

Château Lafite Rothschild. À la main, à l’ancienne : les barriques roulent vers leur destin.

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